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The happy family (1870-1885), de Jozef Israëls​

 Sortir de l'ombre 
 des maîtres du siècle d'or 

Le XVIIIe siècle sonne le glas de l’incroyable prospérité des Provinces-Unies, ruinées par la guerre et la chute de leur empire commercial. Sombre reflet d’une nation en berne, la peinture néerlandaise se morfond dans la nostalgie des maîtres du siècle précédent. Au XIXe siècle, leur séjour à Paris, centre du monde artistique, leur apportera un nouveau souffle. Tel est le thème de l’exposition temporaire du Petit palais (Paris, 8e) Les Hollandais à Paris, 1789-1914.

The happy family (1870-1885), de Jozef Israëls​

© Glasgow Museums

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L’éloge du quotidien

 

En peinture, l’école italienne a longtemps dominé l’Europe. Les Pays-Bas ont choisi de s’en séparer à partir du XVIIe siècle. Quand s’achève la guerre de Quatre-Vingts Ans (1568-1648), sept provinces du nord des Pays-Bas se libèrent de la domination catholique des Espagnols. Mais également de la peinture italienne et de ses représentations du sacré qui leur rappellent cette domination passée. Pour ces sept provinces, désormais république des Provinces-Unies (comprenant la Hollande, la Zélande, l’Utrecht, la Frise, la Groningue, la Gueldre et l’Overijssel), c’est le commencement de presque deux siècles de prospérité.

Aux Pays-Bas espagnols, le sacré est toujours représenté dans les peintures.
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L'immaculée conception (1628-1629), de Peter Paul Rubens

© Museo Nacional del Prado

L'immaculée conception (1628-1629), de Peter Paul Rubens

Leur rayonnement commercial, dû à une suprématie sur la plupart des mers du globe et à un gigantesque empire colonial, est un des rouages de leur économie moderne et sociale. Amsterdam, dans la province de Hollande, en est le plus bel exemple. Centre névralgique du commerce maritime avec les pays de la mer Baltique, l’Afrique, l’Amérique du Nord, le Brésil ou encore les Indes orientales et occidentales, elle est, à cette époque, la ville la plus riche du monde. Les grandes cités, ingénieusement construites autour de canaux, développent l’industrie, qui transforme les matières premières importées en produits finis, pour les proposer ensuite sur le marché national et l’export.

 

Ainsi, la République devient une plaque tournante des savoir-faire internationaux, drainant des artisans de toute l’Europe. Cette forte immigration joue un rôle décisif dans le brassage culturel. La tranquillité et le bien-être sont pris au sérieux dans les Provinces-Unies. Contrairement à Paris ou à Londres, des compagnies de gardes de nuit y assurent la sécurité. Outre la paix, la sécurité des transactions est aussi assurée dans le pays – qui compte parmi les premières places financières du monde. La variété des monnaies en circulation dans les grands ports hollandais, comme Rotterdam, Dordrecht ou Amsterdam, provoque des conflits lors des paiements. Par la création de bureaux de change et d’établissements bancaires, les échanges commerciaux sont grandement facilités et servent de modèle pour d’autres grandes puissances européennes.

The Damrak in Amsterdam (env. 1670), de Jacob Isaacksz van Ruisdael

Construit autour d'un vaste réseau de canaux, Amsterdam accueil les plus grosses compagnies maritimes néerlandaise.
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The Damrak in Amsterdam (env. 1670), de Jacob Isaacksz van Ruisdael

© Museum Boijmans Van Beuningen

L'éloge du quotidien en toile de fond

Un peuple qui incarne une ode à la vie

The merry family (1668), Jan Havicksz Steen

The merry family (1668), Jan Havicksz Steen

© Rijksmuseum

Les Néerlandais sont vus, à tort, comme des explorateurs insatiables, quand leur demeure est pour eux ce qu’il y a de plus sacré. Oost, west, thuis Best. L’adage précise clairement : « Est, ouest, c’est à la maison qu’on est le mieux ». Car c’est au foyer que se fait l’apprentissage des vertus communautaires et où se cultive l’amour de la maison. D’où sa forte représentation dans la peinture de cette période – appelée le siècle d’or –, de Pieter De Hooch à Johannes Vermeer. On peut ressentir, en analysant ces tableaux, que l’intérieur est sanctifié. On y décèle des symboles vertueux, comme la famille, l’apprentissage, le recueillement, le partage…  dans des scènes du quotidien. Ces notions se distinguent parfaitement dans certains tableaux de Jacob Ochtervelt. Dans ce sanctuaire vertueux qu’est le domicile, la femme est le chef d’orchestre. Et le statut particulier que donnent les Néerlandais à ce temple la mette à l’honneur. Il n’est pas étonnant de la retrouver célébrée dans de nombreux tableaux de maîtres, comme ceux de Gerard Ter Borch, Gabriel Metsu et bien d’autres.

À l’époque, les sans-abri sont pris en charge dans des établissements d'accueil régis par l’aristocratie – les régents (représentés par Frans Hals dans ses deux tableaux Les Régent(e)s de l’hospice des vieillards, 1664).

Quel tableau peut mieux représenter le siècle d'or des Provinces-Unies, que la "Vue de Delft" de Vermeer ? Sont mêlés dans une même vibration de lumière ciel, navires, demeures, canaux, églises et Néerlandais.
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La vue de Delft (1660-1661), de Johannes Vermeer

© Mauritshuis

Le contexte économique des Provinces-Unies fait émerger la classe moyenne et les paysans, qui, comme les nobles, souhaitent montrer leurs réussite sociale. Posséder des objets d’art pour enrichir son chez-soi prend alors tout son sens. Cet attrait pour l’art assure ainsi un revenu aux artistes de l’époque – même si très peu réussirent à en vivre exclusivement –, et développe une culture artistique plus forte que partout ailleurs en Europe. Culture renforcée par un minimum d’éducation demandé à toute la population ; ce qui permet aux Provinces-Unies d’avoir le plus faible taux d’analphabétisme de toute l’Europe. Majoritairement issus de milieu populaire, les artistes néerlandais s'inspirent mutuellement, en se rencontrant et en s’écrivant. La noblesse néerlandaise prête peu d’intérêt à leurs travaux et privilégie la peinture italienne. Il est donc possible pour ces peintres d’en consulter sous diverses formes sur les marchés d’art.

La vue de Delft (1660-1661), de Johannes Vermeer

Toutes les bonnes choses ont une fin

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L'effondrement de la puissance navale espagnole, au sortir de la guerre de Quatre-Vingts Ans, a permis aux Provinces-Unies, mais aussi à l’Angleterre, de s’imposer sur les mers. L’accroissement simultané de leurs flottes les mettra en compétition pour obtenir la suprématie commerciale dans certaines régions colonisées, comme l’Amérique et l’Inde. Entre 1652 et 1678, trois guerres anglo-néerlandaises successives affaiblissent la flotte néerlandaise, qui perd d’importantes colonies. À cette même période, le roi de France, Louis XIV, envahit les Pays-Bas espagnols. Pour le contrer, Guillaume III d’Orange Nassau, dirigeant des Provinces-Unies, se marie avec sa cousine Marie II Stuart d’Angleterre pour nouer une alliance entre les deux pays.

Toutes les bonnes choses ont une fin
La bataille de Terheide (1653 - 1666), de Jan Abrahamsz

Cette peinture représente la dernière bataille de la première guerre anglo-néerlandaise, la bataille de Terheide (10 août 1653). La République néerlandaise remporte la bataille, mais accuse la perte du commandant Maarten Tromp, qui est mortellement blessé.
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La bataille de Terheide (1653 - 1666), de Jan Abrahamsz.

© Rijksmuseum

William III Landing at Brixham, Torbay (5th November 1688), de Jan Wyck.

La menace de Louis XIV incite fortement Guillaume III a agir pour protéger les Provinces-Unies. Le 5 novembre 1688, il débarque sur les côtes anglaises avec 14 000 troupes pour réclamer les droits de succession de sa femme Mary.
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William III Landing at Brixham, Torbay (5th November 1688), de Jan Wyck.

© National Maritime Museum

À partir de 1680, Louis XIV impose le catholicisme en France et s’en prend aux huguenots – les protestants français. Cinq ans plus tard, c’est l’escalade, et le monarque révoque l’édit de tolérance entre les deux branches chrétiennes (l’édit de Nantes), les Provinces-Unies et l’Angleterre deviennent pour les protestants une destination de refuge. À l’inverse de la France, les tensions entre chrétiens en Angleterre profitent à Guillaume III, qui envahit l’île en 1688. Il accède au trône l’année suivante. Ce nouveau titre l’oblige à prendre des décisions en faveur du Royaume-Uni, qui influeront sur le futur de l’économie et de la position des Provinces-Unies.

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La fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle annoncent, par cette série d’événements, le crépuscule du siècle d’or. L’échec des guerres contre la France entre 1667 et 1714 – liées aux ambitions de conquête territoriale de Louis XIV – génère une dette colossale pour les Néerlandais – dont l’empire colonial a été fortement amputé par les guerres navales avec l’Angleterre. Le commerce maritime mondial a continué d’évoluer, et certains pays, anciennement clients des Néerlandais, ont désormais leur propres navires. Une concurrence difficile à battre avec une flotte vieillissante, devenue obsolète pour le transport moderne. Les banques pâtissent de cette situation difficile et des crises financières éclatent. Les villes, autrefois en forte croissance, perdent de nombreux habitants, le siècle d’or vit ses dernières heures.

Une pandémie de nostalgie

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Dans la seconde partie du XVIIIe siècle, la Hollande reprend sa place de banquier du monde, et plus particulièrement de banquier de l’Angleterre. Mais le financement des Anglais crée une forte ambiguïté pour le commerce international néerlandais. La banque d’Amsterdam Hope & Co, par exemple, siège au parlement des Provinces-Unies et est régente d’une grosse compagnie de commerce néerlandais. Comme l’explique l’historien Simon Schama : « Dans le domaine commercial, la relation avec l’Angleterre était nécessairement de concurrence ; dans le domaine financier, elle était de complémentarité. » Ce détournement de l’investissement est une attaque frontale pour l’industrie et le commerce du pays. Une passe difficile qui laisse libre cours à la nostalgie du faste du siècle passé. Un sujet que l’on retrouve en littérature et en politique jusqu’au milieu du XIXe siècle.

Les peintres du XVIIIe siècle se veulent les dignes successeurs de leurs aînés, mais l'étincelle n'y est plus.
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À gauche : Woman Baking Pancakes (env. 1790 - env. 1810), de Adriaan de Lelie

© Rijksmuseum

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À droite : The Raree-show (1718), de Willem van Mieris

© Rijksmuseum

Woman Baking Pancakes (env. 1790 - env. 1810), de Adriaan de Lelie
The Raree-show (1718), de Willem van Mieris

À l’image de ce déclin et de ce mal-être, la peinture néerlandaise perd peu à peu de son harmonie avec le monde qui l’entoure, de son plaisir de mettre en scène la vie qu’elle embrassait, caractéristiques des peintres d’autrefois. Ses acteurs deviennent les garants de la transmission d’une technique et représentent le monde d’une façon plus mélancolique. Les sujets sont plus graves ; les tons choisis, mornes ; les visages, figés dans des moues souvent inexpressives… l’étincelle de la joie de vivre a disparu. Les peintures de Willem van Mieris témoignent de ce constat.

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La chute de l’économie et de l’industrie a appauvrie la classe moyenne, anciennement friande d’art, désormais seuls les bourgeois peuvent se permettre d’en acheter. C’est le retour des œuvres classiques, dont le peintre liégeois, Gérard de Lairesse est le digne représentant. Inspiré par les peintres italiens et français, son style lui vaut d’être très prisé par la bourgeoisie néerlandaise de la fin du XVIIe siècle. Il contribue par sa notoriété et son style à propager le goût français aux Pays-Bas. Cet attrait est renforcé par l’ouverture d’écoles françaises depuis l’arrivée des huguenots, écoles que les enfants de familles néerlandaises aisées fréquentent. La culture et la langue de Molière y sont enseignées et deviennent le signe d’une grandeur d’esprit.

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Ce « suivisme » néerlandais pour la culture étrangère fait rapidement perdre l’originalité que cultivaient les Provinces-Unies. Rares sont ceux qui comme l’Amstellodamois Cornelis Troost maintiennent la tradition des peintres néerlandais du siècle d’or. Pour couronner le tout, 1747-1748 est une redite de la situation vécue avec Louis XIV, mais cette fois avec son arrière-petit-fils, Louis XV.

Ahimelech Giving the Sword of Goliath to David (env. 1680), de Aert de Gelder

Ahimelech Giving the Sword of Goliath to David (env. 1680), de Aert de Gelder

© The J. Paul Getty Museum

Un allié envahissant

 

À partir de 1780, les réminiscences de la belle époque se muent en contestation du pouvoir, gangrené par la corruption. Inspiré par les Américains et la philosophie des Lumières, un parti politique est créé, qui a l’intention de remettre en place le régime du XVIIe siècle. Le parti forme bientôt des milices et des groupes paramilitaires dans l’idée de pallier le déclin de la puissance du pays. De nombreux civils s’arment et, en 1787, la révolution éclate et prend des allures de guerre civile. Il faudra l’intervention de militaires prussiens pour que le gouvernement soit rétabli et que les révolutionnaires, en fuite, s’exilent. Leur cause ne peut aboutir sans l’appui d’un pays puissant.

C’est la France qui, en 1794, après la Révolution, les aide à envahir les Provinces-Unies. Désormais proclamée République batave. Guillaume V, le dirigeant de l’époque, a fui pour l’Angleterre et 25 000 soldats français s’installent au frais des Néerlandais. La République présente bientôt de fortes similitudes avec sa sœur hexagonale. Après sa prise de pouvoir en France, Napoléon transforme cette nouvelle République en royaume de Hollande (1806), et y place son frère Louis sur le trône ; pour, quatre ans plus tard, l’annexer à la France. Les Néerlandais comprennent rapidement que cette intégration sera une relation à sens unique.

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Dix ans seront nécessaires pour chasser les troupes françaises et retrouver un roi, Guillaume Ier, à la tête des Pays-Bas désormais réunis (les ex-Provinces-Unies plus les ex-Pays-Bas espagnols). Intéressé par les sciences économiques et sociales, le monarque prend soin de protéger les ressources naturelles de son royaume et de mettre en avant les savoir-faire de ses sujets. Mais en 1830 une révolte éclate dans le sud du pays, qui prend son indépendance et devient la Belgique. À la suite de cette événement, les Néerlandais perdent tout espoir quant au retour de la situation vécue au XVIIe siècle.

General Daendels Taking Leave of Lieutenant-Colonel Krayenhoff (1795), de Adriaan de Lelie

Les troupes révolutionnaires françaises ont envahi les Provinces-Unies, à la demande des Patriotes, et s'y installent.

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General Daendels Taking Leave of Lieutenant-Colonel Krayenhoff (1795), de Adriaan de Lelie

© Public domain

Les Mangeurs de pomme de terre (1885), de Vincent Van Gogh

Des paysans aux visages grossiers, aux mains osseuses et au teint à la couleur de la pomme de terre non pelé, voilà comment Vincent Van Gogh a représenté le dureté du monde rural dans ce tableau. Il passera six mois avec cette famille de paysans ici peinte. 

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Les Mangeurs de pomme de terre (1885), de Vincent Van Gogh

© Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation)

Le gouffre de la dette public, l’industrie au point mort, seules l’agriculture et la production de pomme de terre se portent bien. Les paysages agricoles inspirent le peintre Vincent Van Gogh, qui les représente sous toutes leurs coutures dans ses tableaux entre 1870 et 1880. Cette situation ne dure pas : au XIXe siècle, un champignon ruine les récoltes de pomme de terre. Van Gogh se plonge dans le monde rural et étudie la famine et la pauvreté de plusieurs foyers pendant plusieurs mois. Des multiples tableaux et croquis qu’il réalise à cette période, son tableau Les Mangeurs de pommes de terre (1885) est le plus abouti. On y voit la dureté de la vie des paysans, qu’il peint dans une ambiance sombre, au couleur de ce tubercule. Il quittera les Pays-Bas, quelques mois après la réalisation de cette toile, pour rejoindre son frère Théo à Paris.

Paris, capitale des arts

Paris, capitale des arts
Quatre heures au Salon (1847), de François Biard
Une galerie du musée (179?), de Hubert Robert

Officiellement décrété Muséeum central des arts en septembre 1792, il n'ouvrit ses portes qu'en août 1793. Seuls les artistes y ont accès en semaine, jusqu’en 1855, pour se former. Le dimanche est le seul jour ouvert au public.

Un événement majeur y prend place depuis 1725, le Salon de peinture et de sculpture, au Salon carré. Il devient au XIXe siècle un endroit incontournable pour les artistes en devenir.

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À droite : Une galerie du musée (179?), de Hubert Robert

© RMN-Grand Palais

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À gauche : Quatre heures au Salon (1847), de François Biard

© RMN-Grand Palais

Au XIXe siècle, Paris est le centre du monde artistique. Avec ses collections d’œuvres d’art, ses formations variées, ses perspectives de carrière et son marché de l’art, aucune autre ville au monde ne l’égale. Des artistes des quatre coins du globe entreprennent un pèlerinage dans la capitale française pour se perfectionner, voire obtenir le succès. Prévu pour former aux beaux-arts dès son inauguration en 1793, le Muséum central des arts (aujourd’hui le Louvre) y présente les anciennes collections royales, qui ne cesseront d'être augmentées au cours du XIXe siècle. Parmis les nombreuses expositions proposées dans la capitale, la plus prestigieuse est certainement le Salon de peinture et de sculpture. Organisé tous les deux ans, il met à l’honneur les artistes vivants dans le « salon carré » du Muséum central des arts. Être sélectionné pour y exposer, c’est l’assurance qu’une centaine de milliers de visiteurs verront vos travaux, que des journaux et des revues vous feront de la publicité dans leurs articles, en bref, consécration et commandes. La popularité de cet événement le fera passer de 375 œuvres exposées, en 1800, à 4 000 un demi-siècle plus tard.

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Cette effervescence de l’art en constante évolution ne laisse pas les artistes néerlandais de marbre. Près d’un millier d’entre eux se rendent en France, entre 1789 et 1914, avec une préférence pour Paris. Ils profitent ainsi de cours de perfectionnement, comme celui de l’hôpital de la Charité pour le dessin anatomique, du Jardin des plantes pour le dessin botanique ou encore des Arts décoratifs pour toutes les techniques de dessin. Certains choisissent de devenir l’apprenti d’un maître ou profitent d’académies particulières fondées par des artistes renommés. Ils rencontrent et échangent avec des artistes français, empruntent des styles et des techniques, font évoluer leurs travaux, et réciproquement. Ne séjournant que six ans et demi en moyenne, ils rapportent leurs nouveaux acquis à leurs confrères restés sur place, ce qui permet le rayonnement d’un art international.

Atelier d'Ary Scheffer, rue Chaptal (1851), de Arie Johannes Lamme

Atelier d'Ary Scheffer, rue Chaptal (1851), de Arie Johannes Lamme

© Musée de la Vie romantique

Tous ne sont pas « de passage », le peintre de Dordrecht, Ary Scheffer, arrive à Paris en 1811 à l’âge de 16 ans et reste en France toute sa vie. À 26 ans il est introduit auprès du duc d’Orléans, Louis-Philippe, qui recherche un professeur de dessin pour ses enfants. Le peintre occupera une position influente grâce à la relation de confiance qui s’installe entre lui et le futur roi de France. Généreux et bien intentionné, il en use à bon escient pour obtenir la plus grosse part des commandes de l’État pour lui et son cercle d’amis français et néerlandais. La vente de ses œuvres lui permet de s’offrir un hôtel (aujourd’hui musée de la Vie romantique) dans lequel il aménage des ateliers et dispense des cours.

 

Tantôt accepté, tantôt refusé au Salon, il entre plusieurs fois en conflit avec les jurys qui censurent certains styles de peinture. Il n’hésite pas à boycotter le Salon et à organiser, en 1836, l’un des premiers Salons des refusés chez lui. Il expose ses amis Paul Huet, Jules Dupré et Théodore Rousseau. Sa propre réputation se fera par la diffusion de reproductions de ses œuvres, à partir de 1830, par le marchand d’art et d’estampes Goupil & Cie. Il influencera beaucoup de grands peintres français, comme Théodore Rousseau, qu’il soutient financièrement à ses débuts. Mais également des peintres néerlandais, comme Jozef Israël, qui se rend à Paris en 1846 après avoir été subjugué par une copie d’un de ses tableaux. Il ne sera pas son élève mais profitera de ses conseils et de ses œuvres, grande source d’inspiration.

Briser les codes

 

Au Salon de 1824, une génération de peintres français inspirés par la peinture des paysagistes hollandais du XVIIe siècle est marquée par les toiles présentées par l’anglais John Constable. Parmi celles-ci, La charette de foin (1821), est impressionnante de détails. On observe le rapport entre la nature et l’homme dans son quotidien, sublimé par des touches de lumière et un ciel nuageux typiquement anglais. Sa touche personnelle consiste à insuffler dans ses toiles ce qu’il éprouve pour les paysages.

C’est après avoir fait cette exposition que les Français lancent une révolution dans l’art du paysage, en songeant à y incorporer leurs états d’âme. Avec cette idée en tête, un groupe de peintres se rejoignent au village de Barbizon (Seine-et-Marne) pour travailler d’après une nature « vraie ». Parmi eux, Charles-François Daubigny, Théodore Rousseau, Jean-François Millet, animés de la même volonté de s’émanciper du cadre strict des conventions académiques. Peindre sur le vif sans croquis ni aquarelles préalables.

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Ce ne sont pas les premiers ni les derniers à se plaindre de la rigueur de l’Académie des beaux-arts. À l’époque, le sésame officiel pour exposer au Salon est délivré par un jury capricieux désigné par les membres de cette Académie. En 1863, après le refus de 3000 œuvres sur les 5000 proposées, des artistes se plaignent auprès de Napoléon III qui estimera le jury trop sévère. Il ordonne que soit créé un « Salon des refusés », annexé au Salon officiel, et que 1200 des œuvres non sélectionnées par le jury y soient exposées. Parmi ces œuvres, le Déjeuner sur l’herbe d’Édouard Manet…

 

Des galeries exposent également et les marchands d’art se proposent comme une solution alternative aux expositions officielles pour la vente d’art. Les collectionneurs y sont guidés dans leurs choix et ils peuvent y apprécier calmement une sélection restreinte d’œuvres. Les artistes, quant à eux, y sont encouragés, soutenus moralement et financièrement. C’est le cas de Johan Barthold Jongkind, qui est « choyé » par le marchand d’art Pierre-Firmin Martin. Beaucoup d’artistes et d’amateurs adulent son style particulier pour l’époque. Ses peintures de paysage à la lumière subtile sont croquées et aquarellées sur le vif, puis travaillées et reconstruites en atelier. Il compte parmi ses créations de nombreux paysages urbains de Paris inspirées des peintres néerlandais du siècle d’or, comme Notre-Dame de Paris vue du quai de la Tournelle (1852), dans laquelle on retrouve de forte similitudes avec la Vue de Delft, de Vermeer.

The Hay Wain (1821), de John Constable

Parmi les œuvres de John Constable  exposées en 1824, The Hay Wain est une de celles qui impressionne le plus le public.

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The Hay Wain (1821), de John Constable

© The National Gallery

Exposition au Salon de 1787, de Pietro Antonio Martini
Galerie de tableaux de la maison Goupil & Cie, rue Chaptal, (env. 1860), de Auguste Jourdain
Rue Nôtre-Dame, Paris (1866), de Johan Barthold Jongkind

Des toiles du sol au plafond (première illustration), le Salon n'est pas un endroit qui permet d'apprécier une œuvre confortablement. Les galeries (ci-dessus) sont tout le contraire, et en prime l'assistance d'un professionnelle pour vous guider dans vos choix.

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En haut : Exposition au Salon de 1787, de Pietro Antonio Martini

© Public domain

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Ci-dessus : Galerie de tableaux de la maison Goupil & Cie, rue Chaptal, (env. 1860), de Auguste Jourdain

© Public domain

Rue Nôtre-Dame, Paris (1866), de Johan Barthold Jongkind

© Rijksmuseum

Son goût pour les marines l’amène, à partir de 1862, à passer ses étés sur les côtes françaises. Il y retrouve la jeune génération de peintres Adolphe-Félix Cals, Eugène Boudin, Camille Corot, Charles-François Daubigny, Gustave Courbet, Claude Monet… Il fait la connaissance de ce dernier, sur lequel il aura, avec Boudin, son précédent élève, une influence capitale. L’aspect spontané des aquarelles de Jongkind, sa façon de capter la lumière et les changements d’atmosphère captivent ces deux peintres. La technique de sa peinture, au style libre fait d’une juxtaposition de touches colorées, fait de lui le précurseur de l'impressionnisme. Mais outre sa production il est aussi un excellent conseiller et sait déceler les faiblesses d’un artiste. Il est une aide précieuse pour ceux qui le côtoient.

Alone in the World (1878), de Jozef Israëls

Le renouveau de la peinture néerlandaise

 

La redécouverte de la peinture des maîtres du siècle d’or des Provinces-Unies se fait au début du XIXe siècle. Un bien pour les néophytes, un mal pour les peintres néerlandais contemporains, qui sont souvent soumis à comparaison et dépréciés par les critiques d’art. Il faut attendre le milieu du siècle pour que Jozef Israëls et Hendrick Willem Mesdag, entre autres artistes, suscitent un réel intérêt. Inspirés par les artistes de Barbizon, ces peintres de l’école de La Haye révolutionnent, eux aussi, la peinture de paysage en offrant de nouveaux sujets tel la plage à marée basse. Entre tradition et modernité, ces derniers connaissent le succès à l’occasion de l’Exposition universelle de 1878. Cette même école sera une inspiration pour Vincent Van Gogh avant son départ pour la France en 1886.

Alone in the World (1878), de Jozef Israëls

© Rijksmuseum

Paris est pour lui l’occasion de perfectionner ses connaissances de l’art. Il visite d’abord le Louvre puis le musée du Luxembourg et se nourrit d’art classique, d’art contemporain, et aussi de peinture néerlandaise du XVIIe siècle, comme Rembrandt et Frans Hals. Il consacre également une grande partie de son temps aux peintures et à la technique d’Eugène Delacroix. Il découvre également l'impressionnisme et le néo-impressionnisme mais ne les adopte pas tout de suite. Une année faite de rencontres, se passe, riche d’échanges avec des artistes modernes qui lui font changer radicalement de style. Malheureusement il ne vend aucune toile, malgré le soutien de son frère Théo, gérant de la galerie d’art Valadon & Cie (anciennement Goupil & Cie). Ses œuvres ne seront appréciées qu’après sa mort mais seront une inspiration pour de nombreux peintres, tel le Néerlandais Piet Mondrian. Un bel exemple des influences artistiques nées du creuset que fut Paris.

View from Theo's Apartment (1887),
de Vincent van Gogh

© Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation)

View from Theo's Apartment (1887), de Vincent van Gogh

Sources :

- Éloge du quotidien. Essai sur la peinture hollandaise du XVIIe siècle, de Tzvetan Todorov (Points)

- Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, de Christophe De Voogd (Fayard)

- Les Hollandais à Paris 1789-1914 (Petit Palais)

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- L'âge d’or des cartes marines / Les Hollandais conquérants des mers : http://expositions.bnf.fr/marine/arret/06.htm

- La peinture flamande et hollandaise, de Van Eyck à Rembrandt, XVe - XVIIe siècle : http://www.bnf.fr/documents/biblio_peinture_flamande.pdf

- L’héritage de la principauté d’Orange. Enjeu entre le protecteur des Provinces-Unies et le roi de France : http://journals.openedition.org/rha/4373

- La République batave et le 18 brumaire : http://journals.openedition.org/ahrf/301

- La Hollande et les Hollandais au XIXe siècle vus par les Français : http://www.dbnl.org/arch/koum003holl01_01/pag/koum003holl01_01.pdf

Un Louvre pour les artistes vivants ? Modalités d’appropriation du musée par et pour les artistes du XIXe siècle : http://journals.openedition.org/cel/684

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