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Shinjuku Station Underground Arcade' (circa 1969), de Takuma Nakahira

 L'émergence de la 
 photographie japonaise 

Shinjuku Station Underground Arcade' (circa 1969), de Takuma Nakahira

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© Gen Nakahira, courtesy
of Osiris

La photographie japonaise de 1950-1970 s'expose. Présentée fin 2016
au BAL (Paris, 18e), la première exposition consacrée au

magazine Provoke (1968-1969) a été suivie, au cours de l'été 2017,

de l'exposition Mémoire et lumière, photographie japonaise, 1950-2000,

à la Maison européenne de la photographie (Paris, 4e).

L'essor de ce moyen d'expression nous explique comment une génération de photographes a contribué à la création contemporaine, ce qu'ont été leurs inspirations et leurs revendications.

Une île forcée de s'ouvrir au monde

Une île forcée de s'ouvrir au monde

Quand le commodore Matthew Perry de l’US Navy mouille l’ancre le 8 juillet 1853 dans la baie d’Edo (l’actuelle baie de Tokyo), cela fait déjà presque deux siècles que les Japonais sont sous le joug
d’une politique isolationniste.
Les étrangers ont été chassés,
les échanges avec l’extérieur limités, et, pour les habitants, il est interdit de sortir du territoire sous peine de mort. Pour ce qui est des échanges commerciaux, seuls la Chine et les Pays-Bas sont tolérés, et c'est grâce à ces derniers qu’en 1848 la première chambre noire devient la propriété d’un Japonais.

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Mais cette situation est intolérable pour le commodore américain qui, accompagné de quatre navires de guerre, vient réclamer l’ouverture des relations commerciales entre le Japon et l’Occident. Une demande qui impressionnera le shogunat – les dirigeants de l’époque – sans les faire céder.

Sept mois passent. Perry revient cette fois avec sept navires, américains mais aussi européens, et impose la signature de ce qui mènera, en 1858, au traité d’amitié et de commerce entre le Japon

et les États-Unis, le traité Harris.

À la faveur de ces nouveaux échanges, une grande quantité d’équipements photographiques est importée sur l’île, et en 1862 s’ouvrent les deux premiers studios photo (spécialisés dans les portraits) du pays. Cinq ports sont désormais ouverts aux navires occidentaux, dont celui de Yokohama, où plusieurs artistes vont poser le pied. Parmi eux, le photographe Felice Beato, qui offrira, par des portraits et des scènes de la vie quotidienne, un rare témoignage de ce qu’était le Japon à cette époque de l’entre-soi.
De nombreux apprentis viendront profiter de l’expérience de ces étrangers qui leurs céderont, bien souvent, leur matériels avant de retourner en occident.

Estampe d'un couple de Français photographiant. Le détail

de l'appareil et des produits sur la table attestent la présence de photographes d'occidentaux sur l'ïle. (1861)

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© Coll. Christian Polak, Tokyo

L'empereur Mutsuhito, par Kuichi Uchida

L'empereur Mutsuhito,
par Kuichi Uchida

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© Public domain

Derrière le cliché, le saut vers la modernité

 

Par sa capacité de reproduction, ce média, bien servi par l’ouverture rapide d’autres studios, permet, entre autres choses, de faire connaître l'empereur Mutsuhito, qui succède au shogunat en 1867. Cette possibilité de multiplication, à laquelle s’ajoute l'expansion du tourisme dans cette partie du globe, ouvre un marché en devenir. Des photos-souvenirs colorisées à la main, fidèles aux teintes de la réalité, sont proposées aux touristes. Sorte de « cartes postales » sur lesquelles sont présentés des paysages typiques : des temples, des portraits de femmes élégantes en kimono ou des samouraïs… le Japon éternel répondant aux attentes d'exotisme et de pittoresque de la clientèle. La colorisation des photographies est une technique européenne qui se développe autour de 1840. Dès son arrivée, en 1860, elle connaît le succès et devient même un type d’artisanat raffiné.

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Mais la réalité est bien loin des clichés touristiques. Sous l’ère Meiji (1868-1912),
le pays subit de profonds bouleversements. L’empereur, dès 1872, occidentalise l'archipel pour le  transformer en un État moderne et ouvert sur l’étranger – doté d’un régime parlementaire, d’une presse importante et de structures favorisant le développement de grandes industries et du commerce extérieur. Pour contrôler cette avancée, de nombreux rapports sont nécessaires à l’empereur qui réclame que ceux-ci soient accompagnés de photographies. Il accueille des techniciens et des savants du monde entier et emprunte à l’Occident ce qu’il estime bon. L’éducation et la littérature seront, à partir de là, à jamais modifiées.

Appréhender, reproduire, s'en distinguer

 

À l’approche du XXe siècle, inspirés par les courants pictorialiste et surréaliste occidentaux contemporains, les photographes japonais aspirent à enregistrer fidèlement, et sans artifices, la vie qui se présente devant leurs yeux. Leurs travaux se présentent sous forme d’images uniques que l'on observe dans des galeries, au même titre que la peinture. L’esthétique de ce type d'images est généralement très soigné et une certaine douceur transparaît de ces clichés en noir et blanc, parfois colorisés. La lumière y est souvent une composante clé, elle nimbe la scène ou la scinde, comme dans les œuvres  de nombreux peintres.

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L’arrivée de nouvelles techniques d’impression est vue d’un très bon œil par les artistes, qui peuvent désormais présenter la palette de leurs travaux dans des ouvrages qu’ils produisent en grand nombre. Leur exportation offre la possibilité de partager leur savoir-faire, mais aussi leur philosophie.

Un empire en construction


À la fin du XIXe siècle, les changements opérés par l'empereur Mutsuhito vont nécessiter de l'espace, des matières premières bon marché, des clients… et le Japon choisira de recourir, à l’instar des puissances européennes, à l’expansion coloniale. Une entreprise menée en 1904-1905 dans les colonies russes au nord-est de la Chine, puis à l’est dans les colonies allemandes lors de la Première Guerre mondiale. Un désir d'empire colonial que les puissances occidentales tentent d'enrayer lors du traité de Versailles (juin 1919) et à la Société des Nations (SDN), dont le Japon est membre.

 

Mais en 1931, quand celui-ci envahit la Mandchourie, au nord-est de la Chine, pour accaparer ses matières premières, la goutte d’eau fait déborder le vase. Qualifié d’agresseur par la SDN, le Japon, humilié, en claque la porte pour se mettre en quête de nouvelles alliances. Cette décision,

en plus d’un nationalisme revendiqué et d’un militarisme débridé, tend fortement

ses relations diplomatiques avec l'Occident.

Un médium d’utilité diplomatique

 

Dans un souci d’apaisement Yonosuke Natori, un journaliste photographe japonais ayant fait ses premières armes dans la presse Allemande, lance une opération de séduction à grande échelle. Il créer Nippon (1934-1944), une revue diffusée à l’échelle internationale en plusieurs langues, qui vante la modernité commerciale et l’offre touristique du Japon. Un soin tout particulier est apporté à sa présentation pour en masquer la dimension politique. Les images sélectionnées et les montages photographiques sont très esthétiques et ne montrent jamais la violence des conflits en cours en Chine. Plus tard reconnu pour son utilité en tant qu’outil de propagande par l’armée et le gouvernement japonais, cette revue viendra complémenter un travail de censure des médias sur place.

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En 1937, continuant le travail de la revue, un livre de photographie homonyme, tel un film de propagande nazi de Leni Riefenstahl, aborde tous les aspects de la vie japonaise : économique, religieux, culturel, architectural, artisanal, rural, urbain, etc., sous forme de photomontages dynamiques légendés en anglais, en français et en allemand. Seules deux pages abordent l’aspect militaire.

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Dans le même esprit, un autre livre, soigneusement conçu pour aguicher l’Allemagne nazieGross-Japan (1937) –, présente le Japon dans un mélange d’images légendées louant l’unité sociale, la discipline, la forte éthique du travail, le développement industriel, la vénération de la tradition face aux forces extérieures et le sens du destin national.

Ce livre s’avère être le bon appât, l’Allemagne, suivie de l’Italie, mordra à l’hameçon, et les trois pays formeront une alliance dont l’ennemi commun sera  la Russie Soviétique.

Malgré cela, non satisfait d’avoir obtenu la Mandchourie, le Japon prétexte d’un incident sur le pont Marco-Polo, au sud-ouest de Pékin, pour attaquer la Chine. Ce sera le coup d’envoi de la seconde guerre sino-japonaise, dont les protagonistes s’engageront bientôt dans le conflit mondial.

Gross-Japan
Gross-Japan
Un empire en construction

Seul contre tous

 

L’URSS prête main forte à la Chine contre le Japon, qui n’a plus le soutien de l’Allemagne nazie.

Mis à mal par les troupes russes, les Japonais signent avec eux un traité de neutralité militaire et optent pour une attaque des colonies occidentales du sud-est de l’Asie. L’avancée des troupes japonaises vers l’Indochine inquiète désormais les Américains, qui décrètent un embargo total sur le pétrole à destination du Japon. En réponse à cette décision, l'aviation japonaise anéantit une partie de leur flotte à Pearl Harbor (7 décembre 1941) et attaque simultanément la Malaisie britannique, les Philippines, Hong Kong et l’île de Guam. La guerre est à présent ouverte entre les Américains et les Japonais.

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Cette situation, de plus en plus inquiétante pour l’Occident, amène les forces alliées à se concerter

à Potsdam. Un ultimatum est signifié à l’Empire du Japon, au nom des États-Unis, du Royaume-Uni et de la République de Chine : se rendre sans condition ou subir une rapide et grave destruction. Aucunement intimidés, les Japonais continuent leurs attaques.

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Le 6 août 1945, la sanction s’abat sur la ville d’Hiroshima. Ce sera la première attaque atomique

de l’Histoire. Mais les Japonais ne capitulent pas, et, le 9 août 1945, un champignon atomique se dresse jusqu’à 18 km d’altitude au-dessus de la ville de Nagasaki. Plus de 100 000 morts au total. L’empereur du Japon se résigne et signe la reddition en septembre, c’est la fin de la guerre.

Images tirées du livre Gross-Japan, de Younosuke Natori

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© propagandaphotos.

wordpress.com

Le champignon atomique
au dessus de Hiroshima,
le 6 août 1945.

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© AP / US ARMY / Hiroshima Peace Memorial Museum

Le deuil par le témoignage

 

À cette période charnière, de nombreux photographes japonais influents dédaignent le tirage photographique, qu’ils estiment uniquement nécessaire en tant qu’épreuve de contrôle et non plus comme l’aboutissement de leur travail. L’édition devient alors le moyen d’expression privilégié pour exprimer, tel Walker Evans dans son catalogue American photographs (1938), une idée globale décrite sous de nombreux angles. C’est avec cette idée en tête que Ken Domon, photographe connu pour sa participation à la revue de propagande Nippon, décide de commémorer l’horreur que furent les explosions atomiques.

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Son livre intitulé Hiroshima (1958) nous présente dans un style documentaire froid au réalisme insoutenable des images des victimes de l’atome. On y voit le quotidien des survivants,

leurs cicatrices et les chirurgies reconstructrices qu’ils subirent. Le soin tout particulier apporté à la réalisation de cette œuvre, qui bénéficie d'une couverture en couleurs du peintre Joan Miró,

témoigne de la volonté de l’auteur d’atteindre un public international.

Avec une approche similaire et sur le même sujet, il coréalise, avec le jeune photographe

Shomei Tomatsu, un livre sur les deux bombes – Hiroshima-Nagasaki Document 1961 – soutenu

par des textes du conseil japonais contre les bombes A et H.

Non satisfait du résultat, Tomatsu prend le parti de réutiliser ses photos pour éditer un autre livre qu’il nommera 11:02 Nagasaki (1966). Celui-ci annonce la couleur dès la couverture, illustrée par le cadran d'une montre aux aiguilles arrêtées sur 11 h 2. Retrouvé parmi les décombres,

cet objet nous indique que le temps s'est figé, pour nombre de victimes, à cette heure précise où eu lieu l’explosion de la bombe atomique. Mêlés à des gros plans de cicatrices de rescapés et à des scènes représentatives du moment de l’explosion, plusieurs objets sont montrés, comme ce cadran, sur fond blanc, tel un inventaire métaphorique de l’enfer vécu à ce moment précis.

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Parmi cet inventaire apparaît en double page ces « choses » tordues que l’on pourrait croire être des membres ou des organes au beau milieu d’un brasier. L’esthétique agressive de cette image au noir et blanc très fort est l’exemple parfait des allusions faites par l'auteur. Ce ne sont que des bouteilles de verre déformées par l'onde de chaleur de la bombe, mais cela exprime pourtant bien plus. Cette façon de travailler sur le sous-entendu fait de cet ouvrage une œuvre ô combien plus puissante.

Centré sur un point précis, le dôme Genbaku – seul bâtiment encore debout après le souffle de l’explosion de la première bombe atomique –, Kikuji Kawada produira un des livres-objets les

plus aboutis. Une succession de photographies des murs du bâtiment, de portraits de kamikazes,

de postes de télévision, du drapeau du Japon, de victimes… présentées sur des doubles pages imprimées se dépliant comme une fenêtre, pour offrir en son sein une autre page panoramique.

Le photographe, de la même manière que Tomatsu, labourera dans ce livre nommé The map (1965) le vaste terrain de la culpabilité des Japonais.

Photographies tirées du livre 11:02 Nagasaki (1966), de Shomei Tomatsu.

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(Cliquez pour agrandir)

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© 2017, Shomei Tomatsu

L'après-guerre sera américain

Le général Douglas MacArthur arrive à l'aéroport d'Atsugi le 30 août 1945.

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© US Army

L'après-guerre sera américain

Deux semaines après la fin de la guerre, les forces américaines débarquent dans un archipel dévasté. Placé à la tête du Japon, le général MacArthur a pour objectifs premiers la reconstruction économique du pays et la mise en place d’un gouvernement démocratique. Aux côtés de l’empereur du Japon, Hirohito, il fait opérer de nombreux changements d’ordre social, comme l’émancipation des femmes ou la lutte contre le racisme. Les Japonais adoptent certaines des influences occidentales et les adaptent, dans leur vie quotidienne, à leur propre culture. Mais l’impérialisme américain,

la censure, ou encore la présence des troupes et les abus qu’elles commettent sont mal vécus

par les habitants.

Yokosuka, 1959. Photographie tiré du livre Chewing Gum and Chocolate, de Shomei Tomatsu

En 1951, à la suite de la signature du traité de paix de San Francisco, le japon signe également le traité de sécurité nippo-américain. Celui-ci accorde aux États-Unis le droit de faire stationner des troupes au Japon et d’y établir des bases militaires. Cette présence américaine est de plus en plus critiquée, sentiment que le photographe Shomei Tomatsu fera fortement transparaître dans ses travaux. Cette tension amènera, le 1er mai 1952, des ouvriers, soutenus par le Parti communiste, à attaquer la résidence du Premier ministre et à incendier des véhicules de l’armée américaine.

Yokosuka, 1959. Photographie tiré du livre Chewing Gum and Chocolate, de Shomei Tomatsu.

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© 2017, Shomei Tomatsu

Barricade d'étudiants. Université de Nihon, 1968.

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© Courtesy the Tokyo Metropolitan Museum of Photography

Une société en crise

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Les développements urbains et économiques opérés au Japon au cours des années 1960 donnent naissance à une société nouvelle, soumise à de nombreuses réformes. La gronde du peuple ne tarde pas à se faire entendre, exacerbée par les étudiants, qui occupent facultés et universités.

La tension monte et donne lieu à des affrontements violents avec les forces de l’ordre. Cette situation est un sujet idéal pour de jeunes photographes en herbe, tel Kazuo Kitai, qui immortalisera la situation vécue depuis l’arrière des barricades.

Le 21 octobre 1968, la gare de Shinjuku est mise à sac pour bloquer les trains qui alimentent les bases américaines en carburant. Le Parlement, l’ambassade américaine et le siège de la police sont également attaqués pendant trois jours. Le traité de sécurité nippo-américain, au centre de ces tensions, est tout de même reconduit.

Une parole artistique émancipatrice

 

Parallèlement aux bouleversements sociaux et politiques naît le magazine Provoke (1968-1969).

Publié par les photographes Takuma Nakahira et Yutaka Takanashi – accompagnés du poète

Takahido Okada et du critique Koji Taki –, il a pour objectif principal de créer un langage visuel qui dépasserait les limites de l’écriture.

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Rapidement rejoint par Daido Moriyama, ces artistes novateurs s’évertuent à se détacher de l’aspect documentaire en éliminant tout ce qui s’apparente à de l’information, du témoignage ou du récit, pour démontrer que la photographie peut stimuler la réflexion.

Photographie de Yutaka Takanashi paru dans Provoke 3 (1969).

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© Takanashi Yutaka

Épris de livres de photographie – comme Life is good […] (1956) de William Klein, qui propose une mise en page complexe de ses photos au style graphique percutant ; Love on the left bank (1956)

d’Ed Van Der Elsken, qui offre une construction narrative visuelle très intime, proche du story-board et du roman-photo actuel ; ou encore, le plus connu des trois, légitimement ou non, Les Américains (1958) de Robert Frank, une véritable poésie visuelle sous la forme d’un livre débordant de sentiments et de questionnements de l’auteur sur l’Amérique contemporaine –, ce petit groupe de photographes japonais produisent des clichés de paysages urbains non identifiables en noir et blanc, plombés au point de paraître humides, aux formes vibrantes et floues, s’éloignant le plus possible de l’imagerie publique de l’époque. Certains d’entre eux, comme Moriyama, iront jusqu’à utiliser une photocopieuse ou des pellicules bon marché pour accentuer l’esthétique déstructuré de

leurs photographies.

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Seuls trois numéros de Provoke seront édités, et en quantité restreinte – dans l’ordre de parution : 300, 500 et 1 000 exemplaires –, mais, à ce jour, il est la contribution japonaise la plus importante à la photographie contemporaine, aux livres de photographie et aux magazines dans le monde entier. Nakahira ira jusqu’au bout de l’expérience Provoke en publiant, en 1970, le livre For a language to come, qui, comme son nom l’indique, tentera de parfaire l’idée de langage visuel, objectif principal du magazine auquel il contribua.

Une inventivité insatiable

Scène intime du voyage du noce de Nobuyoshi Araki. Tiré du livre

A sentimental journey (1971).

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© Nobuyohsi Araki

La photographie japonaise de 1960 à 1970 s’attachait à présenter les aspects les plus personnels de la vie des photographes. Cette tendance s’est poursuivie jusqu’à nos jours, comme en témoigne la profusion d’œuvres proches du journal intime.

Si les mots « profusion » et « journal intime » devaient être incarnés par un photographe, ce serait sans aucun doute par Nobuyoshi Araki. Auteur de plus de 300 livres de photographie, il est le digne successeur d’Ed Van der Elsken pour ce qui est du roman autobiographique.

À l’occasion de  son voyage de noces, en 1971, il détaillera la réalité quotidienne la plus personnelle de son couple : lieux touristiques visités, chambres des hôtels, modes de transport empruntés, sexualité… L’histoire d’un couple modeste aisément incarnable. Le rendu des photographies du livre qui en résulte – intitulé A sentimental journey – y est intentionnellement nostalgique, une nostalgie accentuée par la pâleur de l’impression. Tout comme dans la majorité de ses livres, la narration y a une importance capitale, et ce, dans les nombreux styles qu’il a abordés. Car à lui seul il peut, par son œuvre, être le reflet de toutes les facettes de la culture photographique japonaise, et son influence s’étend bien au-delà du Japon.

Carpenter Center (1993),

de Hiroshi Sugimoto.

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© Hiroshi Sugimoto

Rivalisant, en termes d’envergure internationale, avec Araki, Hiroshi Sugimoto est à l’opposé de celui-ci. Associant la tradition nippone au conceptualisme occidental, il réalise des œuvres minimalistes à l’esthétique impeccable et au concept métaphysique. Questionnant constamment la limite entre la science, l’art et la religion, ses photographies sont une analyse critique de la réalité.

Dans sa série Theatres, Sugimoto se rend dans des cinémas et des drive-in américains pour y capturer en noir et blanc, le temps de la projection du film, la lumière projetée sur l’écran. Il en résulte l’image d’un écran blanc dans une salle de cinéma plongée dans la pénombre. Perturbant les données du réel, le photographe s’interroge sur ce qui résiste à l’épreuve du temps, sur la mémoire face à un surplus d’informations ou tout simplement sur l’existence. Mais c’est aussi une remise en question du principe photographique qui prétend immortaliser un instant bref.

À sa réflexion : « Peut-on encore observer un paysage que les hommes primitifs ont eux-mêmes pu observer ? », Sugimoto répondra par une série de photographies de l’océan qu’il intitulera Seascapes. Lancé dans une méditation sur le temps et l’Histoire, il parcourra différents coins du monde pour nous offrir des vues en noir et blanc où l’horizon divise parfaitement l’océan et le ciel. Parfois agitée, parfois calme, cette étendue d’eau se fond parfois dans le ciel, offrant une simple nuance de gris au spectateur.

 

Par un langage pétri de métaphores parfois difficiles à saisir, un mélange de styles et une créativité avancée, une poignée de photographes japonais ont apporté leur savoir-faire à l’art contemporain et marqué l’histoire de la photographie. Mais la plume de l’Histoire ne s’est pas encore arrêtée d’écrire et ce pays, qui ploie sous les us et coutumes d'une société corsetée, possède un vivier de jeunes talents près de « prendre la parole ».

Sources :

- The Photobook : a history, volume 1, de Martin Paar et Gerry Badger (Phaidon)

- Les Livres de photographies japonais (1960-1970), de Ryuichi Kaneko et Pierre Saint-Jean

- Journal A/Fixed, n°1 : Provoke Generation, Japanese Photography ’60s-’70s

- Magazine L’Histoire, mensuel N° 413 : 1931-1945, Asie Pacifique, l'autre guerre mondiale

- Provoke, édité par Diane Dufour et Matthew Witkovsky (Steidl)

- Photographes A-Z, de Hans-Michael Koetzle (Taschen)

 

- L’entrée de la photographie au Japon : http://expositions.bnf.fr/socgeo/grosplan/02.htm

- Felice Beato : http://expositions.bnf.fr/socgeo/grosplan/03.htm

- Le livre de photographie de propaghande japonaise : http://apjjf.org/2011/9/20/Andrea-Germer/3530/article.html ; https://propagandaphotos.wordpress.com/2012/09/29/gross-japan-dai-nippon-younosuke-natori/

- Source visuelle pour description des livres de photographies : http://josefchladek.com/

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